Violences conjugales

Violences conjugales : l’Ordre consent à une dérogation (restreinte) au secret

Paris, le jeudi 19 décembre 2019 – Certains des groupes de travail ayant contribué au Grenelle des violences conjugales organisé cet automne sous l’égide du gouvernement ont préconisé que puisse être prévue une dérogation au secret médical permettant au médecin de procéder à un signalement au Procureur de la République sans l’accord de la victime. Cette proposition s’appuyait sur la constatation que de nombreuses victimes de violences conjugales (et parmi elles les femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint) sont nombreuses à consulter des professionnels de santé (mais pas nécessairement pour des raisons en lien avec les violences qu’elles subissent). Cette préconisation reposait également sur la conviction que le médecin est particulièrement bien placé pour repérer les violences (même si la réalité est probablement plus complexe et s’il existe un déficit de formation des praticiens dans ce domaine). D’une manière globale, l’objectif était de pouvoir doter la société et les médecins de tous les outils potentiellement efficaces pour éviter le plus de drames et de souffrances possibles.

Danger vital immédiat et emprise

Face à la nécessité de préserver le plus possible le principe du secret médical qui garantit une protection indispensable aux patients (et parmi eux qui plus est aux femmes victimes de violence), le Premier ministre Edouard Philippe s’en était remis à la sagesse du conseil de l’Ordre des médecins, tout en se déclarant favorable pour sa part à une levée du secret dans les situations suggérant un risque réel de récidive. A l’issue de discussions parfois tendues, le Conseil de l’Ordre des médecins a finalement aboutit à une proposition claire : il est favorable à une dérogation dans le cas où le médecin a « l’intime conviction que sa patiente est en danger vital immédiat et qu’elle se trouve sous l’emprise de l’auteur des violences ». Face à ces cas (qui pourront être l’objet d’interprétations complexes, tant les notions de danger vital immédiat et plus encore d’emprise ne sont pas strictes), le praticien pourra avertir le Procureur de la République. Il devra dans cette démarche s’efforcer d’obtenir l’assentiment de la victime et quoi qu’il en soit l’avertir du signalement. Le Conseil de l’Ordre insiste : « Cette dérogation permissive permettant de protéger les victimes et les médecins faisant un signalement en cas d’urgence vitale immédiate, rédigée en concertation avec l’Ordre, ne saurait remettre en cause le principe fondamental du secret médical, base de la relation de confiance entre un patient et son médecin ». Le Conseil de l’Ordre suggère par ailleurs que le législateur pourrait prévoir la « désignation d’un procureur de la République dédié aux violences conjugales, à qui les signalements des médecins pourraient être adressés ».

Des médecins prêts à une dérogation selon une enquête du JIM

Cette position du Conseil de l’Ordre fait écho à l’opinion qui paraît s’exprimer au sein du corps médical. Un sondage réalisé sur notre site permet en effet de constater que les professionnels de santé sont prêts à accepter une dérogation au secret médical pour répondre à la prévention et à la prise en charge des violences conjugales. Ainsi, 31 % des professionnels de santé se sont déclarés favorables à la possibilité de procéder à un signalement même sans l’accord de la victime en cas de risque élevé de récidive, tandis que 34 % apparaissaient en faveur d’une dérogation de façon plus générale en cas de violences conjugales. A contrario, 32 % des praticiens ont indiqué s’opposer à une levée du secret médical.

Inutile et contre-productif ?

Parmi les réfractaires, figurent de nombreux spécialistes, habitués à la prise en charge des femmes victimes de violence. Parallèlement à la position de certains juristes qui doutent qu’il soit réellement nécessaire de compléter l’arsenal législatif déjà en vigueur, plusieurs praticiens ont ainsi émis des réserves, s’inquiétant notamment du risque que les femmes victimes de violence évitent le recours aux soins de crainte d’un signalement qu’elles refuseraient. Ces médecins font en outre remarquer qu’ils mettent tout en œuvre dans leur pratique pour éviter les soins sans consentent et qu’une démarche de signalement sans accord apparaît contraire à ce principe. Ils redoutent des démarches contre-productives et insistent sur l’importance d’un accompagnement dans le temps des victimes. Si les notions « d’urgence vitale » et « d’emprise » (même si on a souligné combien ces notions ne sont pas nécessairement faciles à appréhender) permettent d’atténuer certaines réserves, les contestations demeurent cependant.

Ainsi, le Collège de médecine générale a clairement  manifesté son hostilité à une mesure paraissant « non seulement inutile mais (…) probablement contre-productive ». « Le secret médical permet d’élaborer une relation dans le temps indispensable à la victime pour (…) prendre les décisions bonnes pour elle et sa famille » insiste encore le Collège. Sans doute les débats parlementaires contribueront à exprimer ces réticences persistantes.

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